A un moment donné, il faut inciser, ouvrir, écarter les chairs.
A un moment donné, il faut cadrer, définir le champ opératoire.
A un moment donné, il faut y aller, se déplacer, s’approcher.
Au premier accident, j’y suis, je suis tout entier dans ce que je fais, je suis dedans, je ne cherche pas à cerner, je laisse rigoler la couleur, dégringoler l’édifice, s’affaisser ce qui prenait forme. Je ne sais plus ce que je fais, mais j’y vais, je n’arrête pas, la colère gronde, l’image se dresse devant moi, d’autant plus si ce qui vient agace.
Il y a un sale moment à passer, avant que ça jubile à nouveau. A tout moment, je le sais, ça peut foutre le camp, la bataille n’est pas gagnée, ça mange toute la surface. C’est alors le moment de se frayer un chemin, le moment précis où il me faut saisir l’éclaircie, la trouée.
Tout un monde dans la flaque, tout un monde qui s’organise et se ramifie. Tout d’un coup, ça silhouette, ça se découpe, ça se débine dans l’indistinct. Je reconnais des morceaux, je reconnais des moments. C’est tout cela qu’il faut remonter à la surface, je vais en perdre en route, pas de temps à perdre.
Un espace en mange un autre, une figure en gobe une autre. Restent un bras, une jambe, un œil, une croupe, un bris, une barbe, une ribambelle de marmots en lambeaux. Une tête en efface une autre. Une tête, autant dire une béance, une butée, ça y est, j’ai bu la tasse, j’ai bu la tête. Les joues mangées, les bords sont tout rognés.
Avant que l’espace ne se referme et n’engloutisse toutes ces figures, toutes ces bestioles, il faut s’arrêter, laisser sécher.
Bataille livrée, fantômes délivrés, la toile est roulée, la toile est tendue sur châssis, la toile est retournée contre le mur, la toile sort de l’atelier.
François Durif
Texte écrit au sortir de l’atelier de Marine Joatton le 20 mai 2009