Salon du dessin contemporain 2012

Marine Joatton était représentée par la Galerie Réjane Louin au Salon du dessin contemporain 2012.A cette occasion, un article, signé Emmanuelle  Lequeux  a été publié dans le journal Le monde daté du 1er avril 2012.

Réjane Louin à Locquirec
LE MONDE | 10.04.2012 à 17h51 • Mis à jour le 12.04.2012 à 16h19 |

Par Emmanuelle Lequeux

 Elle ne se rend pas compte. Monter une galerie d’art contemporain au fin fond d’un village du nord du Finistère ? Non, vraiment, elle ne voit pas « quel courage cela demande ». Réjane Louin a une douce inconscience qui fait son charme ; pas besoin de grands mots ni de coup d’éclat pour mener son chemin. Avec ses longs cheveux châtains et son joli minois plein de taches de rousseur, elle apparaît comme une rivière qui suit humblement son cours.

« Tout se fait peu à peu, naturellement. » Dans une grâce. Elle se croit sans force de persuasion. C’est oublier son atout essentiel, sensibilité à fleur de peau. Pour sa première interview, elle craint de ne pas savoir convaincre, de « ne pas être assez dans le discours ». Pourtant elle a su attirer dans le joli port de Locquirec, 1 459 habitants, des artistes renommés, des collectionneurs enthousiastes, des amateurs qui s’ignorent. L’ancien ministre de la culture, Jean-Jacques Aillagon, fait partie des fidèles. Rennoise d’origine, Réjane est tombée amoureuse du site : une baie qui donne sur celle, sublime, de Saint-Michel-en-Grève, des maisons de granit, des bleus et des blancs comme seule la Bretagne en sécrète. Très vite, elle a déniché un lieu pour sa galerie : un ancien appartement envahi d’art et de lumière, avec coin salon et petit jardin.

« Je n’ai eu aucun mal à convaincre les artistes de venir travailler avec moi, vraiment. Ici, ils s’échappent de la pression parisienne. Pour eux, c’est un peu des vacances, de l’exotisme. » Hors champ, loin du brouhaha du milieu, elle construit avec eux « des relations longues et simples comme je les aime ». Idem pour les collectionneurs, dont beaucoup viennent dans la région en villégiature : « Ils savent que Locquirec est un endroit magique, et prennent le temps de regarder les oeuvres, car ils n’ont aucun stress. »

A son arrivée il y a quatre ans, les villageois ont été plus que surpris : « Ils étaient sûrs que je ne passerai pas l’hiver. Maintenant, après des débuts difficiles, j’appartiens à cet endroit. Jamais je n’ai eu envie de renoncer. Personnellement, cette aventure a été essentielle, et je sais que j’ai trouvé ma voie. » Elle l’a longtemps cherchée, refusant de s’avouer son désir secret de devenir galeriste : ancienne élève de l’Ecole du Louvre, elle a d’abord travaillé au Musée de Morlaix, en tant qu’assistante du conservateur. Souvenir d’un tout petit Monet, Pluie à Belle-Île, qu’elle porte aujourd’hui encore en elle : « J’aime les choses intimes, sensibles, pas grandiloquentes, je déteste les grandes narrations. »

La dizaine d’artistes avec qui elle travaille désormais est dans cette veine : dessins venus des tréfonds de l’inconscient de Marine Joatton, abstractions infinies d’Olivier Michel… « Tous les matins, quand j’arrive à la galerie, j’ai besoin d’un moment de contemplation, de poser le regard sur les oeuvres, et un bien-être total s’empare de moi. Tous les galeristes sont comme ça, non ? » On n’ose pas lui avouer que non. Solitaire au quotidien, Réjane Louin sait aussi fédérer les énergies. Un jour, le Parisien Bernard Utudjian, directeur de la galerie Polaris, est entré par hasard chez elle : « Cette rencontre a été fondamentale. Il a eu l’idée de créer un événement à Locquirec, en invitant collectionneurs et galeristes en mai 2011. Ce week-end a été incroyable. » Ensemble, ils recommencent donc pour le pont du 1er Mai prochain, en conviant cinq galeries à squatter qui l’ancienne école, qui le presbytère déserté.

Emotion esthétique « offerte à tous »

Cette année, elle participe au Salon du dessin contemporain Drawing Now, au Carrousel du Louvre jusqu’au 1er avril. « C’est très excitant, comme une vie en concentré. » Pas loin du monde non plus dans ses engagements. Si les oeuvres qu’elle privilégie semblent pleines de quiétude, abstraites dans l’âme, elle insiste sur l’importance qu’a pour elle « la question sociale et politique, même si cela ne se voit pas au premier abord. Par exemple, j’aime beaucoup la façon dont certains de mes artistes, comme Antoine Perraud ou Claude Briand-Picard, se réapproprient des éléments kitsch, banals, appartenant au peuple, pour en faire oeuvre. Et surtout, m’implanter dans ce lieu est pour moi un vrai acte politique, de démocratisation : tout le monde ose rentrer chez moi, notamment des gens qui ne sont jamais allés au musée. Ils ont une idée de l’art contemporain déformée par la notion d’argent, et ils se trouvent soudain confrontés à des oeuvres qui les surprennent. Pour moi, le politique est là : faire en sorte que l’émotion esthétique soit offerte à tous, et non à une élite intellectuelle ou financière ».

Emmanuelle Lequeux